chez Les gardiens de l’eau

Cerro Chispas, 4200m

Cette nouvelle année nous l’avons démarré en Colombie. Lors de notre voyage, nous avons visité les Páramos de la région du « Parque de Los Nevados ». Randonnée itinérante de 4 jours sous la compagnie de Nelson, notre guide. 44 ans, enfant du pays, amoureux et grand connaisseur des hautes montagnes du « parque » et de ses habitants. Comme la plupart des villageois de Salento, il aura subi les conséquences de décisions familiales de vendre leurs terres à l’État. Contrairement à la plupart des gens, il a trouvé un moyen de rester, grâce à son métier de guide. Sa discrétion, sa gentillesse débordante et son sens de l’humour nous ont rapidement touchés. Nous racontons ici plusieurs de ses réflexions et ses efforts quotidiens pour protéger cet environnement aussi fragile que magnifique.

Des paysages fantastiques, des rencontres passionnantes et une belle épreuve physique. Nous sommes partis du Parque avec l’envie d’aider à rendre plus visible la réalité des populations des hautes montagnes colombiennes. Eux, les gardiens du Páramo, le sanctuaire des frailejones

LEs Frailejones

Cette majestueuse plante connue sous le nom de Frailejón, n’est pas un OGM d’Edelweiss. Mais curieusement, elles sont dans la même sous-famille botanique. Par la fraîcheur de son parfum boisé, son velours et son immense capacité à absorber et filtrer l’eau, je m’avancerais à penser qu’elle, comme l’edelweiss, comporte des propriétés cosmétiques extraordinaires. Malheureusement, sa fragilité, l’exigence des conditions à réunir pour qu’elle pousse, ne permette pas sa reproduction en pépinière afin de l’étudier et l’utiliser à des fins cosmétiques. Compte-tenu de ses incroyables propriétés et rôles socio-économiques, nous avons décidé de vous la présenter au travers ce récit. 

Le Frailejón

l’éponge des montagnes

Le frailejón se trouve entre 3000 et 4000m dans le biotope néotropical d’altitude, ou “Páramo“, dans la cordillère des Andes. Il pousse de 2 centimètres par an et peut atteindre sa taille adulte au bout de 100 ans. Aussi connu comme « éponge de montagne » en raison de sa faculté de rétention d’eau. Il joue un rôle fondamental dans la production et la distribution de l’eau en captant l’humidité du brouillard et des pluies pour créer cours d’eau, rivières et lacs. 

Face au changement climatique, les frailejones ainsi que leurs propriétaires terriens, sont maintenant pourvus de nouvelles responsabilités. En effet, plus de la moitié des páramos du monde se trouvent en Colombie et plus de 60% de l’eau consommée sur ce territoire en provient directement. Malgré la végétation exubérante du pays, les conséquences liées au dérèglement climatique y sont désastreuses. Seulement, au mois de janvier 2024, plus de 50 incendies ont brûlé plus de 3500 hectares de végétation, dont plusieurs centaines de páramo. La conservation du frailejón, face à un contexte climatique menaçant prend une importance extraordinaire. Cette conservation devient donc un défi particulièrement laborieux pour les différents acteurs concernés.

Un enjeu de conservation…

Comme dans tout endroit riche en ressources naturelles en Colombie, la gestion des terres au « parque de los nevados » n’est pas une simple affaire. Les paysans du páramo habitent à 4000m d’altitude. Ils n’ont malheureusement pas d’accès proches à des services fondamentaux comme l’électricité, écoles ou centres de santé. Ils sont aussi confrontés depuis des décennies à l’accaparement mais aussi à la récupération de leurs terres. En effet, les entreprises multinationales comme Coca-Cola ne sont pas les seules intéressées: l’État colombien et plusieurs agences internationales aussi. L’UE*, le PNUD* ou le WCS* jouent un rôle important dans la récupération des terres paysannes dans le but de leur conservation. 

* l’Union européenne, Programme des Nations Unies pour le développement, Wildlife Conservation Society

D’un point de vue écologique le travail de récupération des terres est très positif. Nous questionnons ici, dans ces projets, la place des familles propriétaires des terres. Entre la Valle del Cócora et la Finca Potosí, nous avons pu admirer la beauté d’immenses forêts natives maintenant protégées. Leur densité, leur diversité et la magnifique Palma de Cera caressant les nuages n’ont cessé de nous émerveillé. Pur bonheur, surtout que quelques décennies auparavant seules des vaches et des pommes de terre s’y trouvaient. Le travail de reforestation de la part des Parques Nacionales est absolument remarquable. 

…au détriment des populations locales

En revanche, la création du parc naturel des Nevados n’a pas bénéficié aux populations locales. En effet, l’achat de terres a été le moyen principal pour créer le parc. Seulement, comme nous disait Nelson, un paysan sans terre devient une personne sans but. De la même manière, pour les familles qui ont décidé de garder leurs terres, la vie n’est guère plus simple. Elles se retrouvent confrontées aux nouvelles règles de conservation du territoire. Et malgré les expectatives, dans les mêmes conditions d’abandon institutionnel qu’auparavant. 

En effet, nous restons particulièrement surpris par les conditions de vie de ces populations. Déjà, ils sont extraordinairement peu nombreux, sur 50mil hectares, aujourd’hui l’on ne trouve pas plus d’une quinzaine de familles. Puis, ils se retrouvent obligés à « défendre » en permanence, leur décision de rester chez eux. En effet, l’État et ses programmes de conservation des « parques naturales », identifient comme cause de la dégradation du páramo les vaches qui se grattent sur le frailejón. Mais aussi les touristes « désordonnés » qui réalisent des randonnés itinérantes et arrivent chez les paysans pour dormir et se ravitailler. Il existe bien un rapport de forces entre l’Etat et la population, et malheureusement celui-ci est bien déséquilibré.

Une résistance inspirante

Malgré leur faible poids dans la négociation, ces paysans osent se défendre et rappeler que pour eux aussi la conservation de leur territoire demeure indispensable. Conscients des nouveaux enjeux nationaux, notamment des besoins en eau potable des villes proches, ils ont transformé leurs zones de culture de pomme de terre en zones protégées. Ils n’ont plus qu’une dizaine de vaches par famille, juste le nécessaire pour leur consommation personnelle de lait et viande. Enfin, ils essayent de développer un accueil de touristes comme ils le peuvent. Aujourd’hui cette activité représente leur unique source de revenus, ainsi que leur seul moyen de communiquer avec le monde extérieur. Leur détermination à rester sur leur territoire rappelle à l’État et à nous tous, que la santé d’un milieu aussi sensible que le páramo dépendra non seulement des vaches et randonneurs, mais aussi et surtout de la santé globale de la planète, et donc de nos choix de consommation quotidiens.

A 4000 mètres, l’absence de routes, d’électricité, de commerces, de services de santé, d’écoles ou signal téléphonique, nous montre que ces familles s’acharnent pour garder leur terre. Elles font tout leur possible pour accueillir les touristes de la manière la plus écologique possible. Nous imaginons à peine la logistique nécessaire pour nous procurer un repas équilibré cuisiné au feu de bois coupé à la hache et ramené à cheval; une douche chauffée grâce à des panneaux solaires ou encore un lit aux matelas et couvertures en laine. Arriver jusqu’à ces petites maisons en terre a été pour nous un très grand plaisir. Nous n’éprouvons que de la gratitude et de l’empathie envers ces gardiens des montagnes aux yeux de cristal qui nous ont aussi gentiment accueillis.

Des rêves pleins la tête

Nelson rêve encore à la possibilité de récupérer ses terres. En attendant, il exerce son metier de guide avec dévouement en faisant de son mieux pour soutenir les familles qui se battent encore pour les leurs. Son rôle de guide consiste aussi à sensibiliser les touristes sur la fragilité du territoire et son importance. Il travaille main dans la main avec tous ses collègues afin d’éviter autant que possible la dégradation des lieux. Ces 3 jours dans ces montagnes ont été pour nous un de plus beaux cadeaux de la vie. Dans nos souvenirs resteront gravés ces instants de silence immaculé entourés de frailejones, le calme de nos pas sous le regard du condor et la pureté de l’eau et l’air que nous avons pu y déguster. 

Nous ne pouvons que vous encourager à découvrir ce genre d’endroits magnifiques si un jour vous comptez voyager en Colombie. Prenez soin d’y aller avec le respect que tout sanctuaire mérite et avec l’empathie nécessaire pour soutenir d’avantage la population locale. Voici quelques pistes ou recommandations :  

  • Partez toujours avec un guide, et si possible certifié par le réseau des Parques Nationales
  • Restez sur les sentiers
  • Soyez généreux et si vous pouvez laissez un pourboire, surtout aux paysans qui vous accueillent
  • Ne demandez jamais un rabais
  • Contribuez à l’amélioration des prestations, si possible apportez leur des connaissances ou du matériel
  • Contactez-nous si vous voulez participer à la création d’une asso de partage de connaissances utiles au tourisme en milieu isolés: cuisine, agriculture bio, low-tech, artisanat, plantes…